Le Clou
Du 30 novembre 2015 au 24 juin 2016
Centre de Conservation et de Ressources (CCR) du MuCEM et au Fonds Régional d’Art Contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur – Plateau expérimental et Centre de documentation
site web des expositions Le clou
Avec : Antonin Artaud, Julien Baete, Phillip Borsos, Simon Nicaise, Yazid Oulab, Étienne Parrocel, Marc Quer, Man Ray, Jérémie Setton, Günther Uecker et Laurent Violeau, ainsi que des objets et documents issues de la collection du MuCEM
Vaches à l’ombre d’un clou
2008, Pigment et vernis sur peinture à l’huile sur bois (anonyme)
Vue d’exposition
Man Ray Le cadeau - 1921-1970
Edition Schwarz 1/11, collection Galerie Eva Meyer
Objet de grève / Tribulum - 4e quart du XXe siècle
Acier, collection Rémy Rivoire
Extrait du texte de l’exposition La Chambre d’Amis
Par Maxime H. Pascal - Septembre 2008
Cette problématique de l’ombre trouve un déploiement conséquent dans l’installation de « La chambre d’amis. »
L’espace est familier et déroutant.
Les objets sont banals, la lumière crue.
Unifiée par les murs peints d’une couleur mate brossée du sol au plafond, la constitution de l’atmosphère est compacte.
« La chambre d’amis » supprime la question de la distance. Elle est un espace pictural en 3D. On passe à l’intérieur de la toile. On y entre, en se souvenant peut-être que l’on aurait désiré pénétrer dans la chambre de Vincent à Arles.
Force est de constater que les objets sont devenus les doubles métaphoriques de la touche. Ils assument doublement leur vocation de trace prise en compte par la peinture, en même temps qu’ils manifestent celle du passage des souvenirs.
C’est une chambre simple où il n’y a pas d’amis.
Les fenêtres ont disparu.
Les bruits ont disparu.
Le silence a disparu.
Les ombres aussi.
L’observateur constate qu’il a gardé la sienne, la seule, légèrement surdimensionnée, qui révèle, dans son déplacement sur les objets, l’empreinte des ombres manquantes. Le trouble est créé. La chambre paraît ne plus être comprise dans une géométrie naturelle. Cette pièce est-elle un lieu ou la traduction d’un espace mental, métaphysique, une zone intermédiaire entre différents plans de la conscience ? Il est proposé d’expérimenter un niveau singulier de sensation, de contacter une perception de l’imperceptible. Il s’agit autant d’une expérience du corps où les cellules de l’œil sont à la fois leurrées et désillusionnées, que d’une interrogation raffinée de l’esprit.
La disparition des ombres, obtenues par le fait de peindre de la même couleur qu’elles la surface environnante jusqu’à leurs abords sans recouvrir leurs surfaces propres, est essentiellement une mise en action de la peinture dans son rapport dialectique au visible.
Ce jeu d’optique issu d’une grande maîtrise coloriste et technique, engage l’œil attentif à regarder l’ombre véritable et sa continuité peinte. À voir ce qui est devant lui et pourtant tenu caché.
Cette ombre compagne, retirée de l’entour des choses, provoque un tremblement discret de la préhension du réel et convoque au-delà de l’apparence des objets le forage des mémoires.
Jérémie Setton peint « La chambre d’amis ».
Au plafond, une douille est fixée.
L’ampoule est muette et pourtant elle hurle.
Des amis sont partis.
Les ombres les ont suivis.
Quelques-uns reviendront. D’autres pas.
Certains ne sont pas encore arrivés.
L’absence se conjugue aussi au futur.
Sur un mur, il pose tour à tour son pinceau de couleur et son pinceau d’ombre. Une valeur additive, une valeur soustractive.
Aller, retour.
L’attente est aiguë et indéfinissable
Il est présent à toutes les absences qui l’environnent.
Mise en volume de l’angoisse, jeux des nuances, abolition des obstacles, la couleur matière continue de frayer son chemin. À chaque mouvement, la main du peintre pose la question « où es-tu ? », reprise par sa pensée en écho « où sont-ils ? »
Le manque ne connaît aucun répit. Dans ce creuset universel, tous, nous sommes mis à l’œuvre.
_
retour